Cette région lointaine qu’est l’Indochine, terre coloniale depuis la fin du 19ème siècle (début de la conquête en 1858) est le terrain d’une guerre difficile de décembre 1946 à juillet 1954. Pour autant les habitants de métropole, s’ils sont sur le moment soucieux de ce conflit long et sanglant, ne le sont plus après les accords de Genève, qui conduisent à la perte de l’Indochine (juillet 1954). Il semble que leur mémoire se soit alors fragilisée, malgré les 75 000 morts recensés. Une page d’histoire s’est refermée, celle de la puissante France coloniale et, avec elle, celle des soldats, professionnels ou engagés volontaires. Car ce n’est pas une guerre d’appelés, une guerre totale et de proximité, comme en 1914 ou 1940. Certes, quelques généraux publient leurs souvenirs, parfois avec fracas et publicité, à l’instar du général Marcel Bigeard[1]. Mais, hormis quelques passionnés de cette période, peu de Français se complaisent à ressasser les vieilles histories de l’Indochine. Et puis, le Vietnam est éloigné… Les touristes ne sont pas encore nombreux à venir découvrir cette portion de l’Asie, en partie sous une dictature communiste et marquée bientôt par une nouvelle guerre avec les Américains. Au final donc, l’Indochine n’intéresse pas, n’intéresse plus, sauf quelques nostalgiques des terres et des guerres lointaines.
Il existe pourtant des Anciens Combattants d’Indochine et des associations, qui réclament un droit à la reconnaissance nationale. Mais ce n’est pas avant les années 1980 que la France se soucie de cette mémoire-là. En 1984 Henri Turenne propose à la télévision un programme consacré à l’Indochine coloniale. C’est une première, 30 ans après la célèbre et terrible bataille de Dien Bien Phu (13 mars 1953-7 mai 54). Et le succès est au rendez-vous. Quelques années après, la sortie des films « Indochine » (1991) de R. Warnier et « L’Amant » (1992) de J.J. Annaud, familiarisent davantage encore les Français avec l’Indochine. Une page désormais semble être tournée. Une mémoire nationale peut commencer à se mettre en place. L’inauguration de divers mémoriaux en hommage aux morts d’Indochine traduit cet élan nouveau. En février 1993, le Mémorial de Fréjus, qui accueille la sépulture de 24 000 morts militaires et civils, est inauguré par le Président de la République François Mitterrand.

Le mémorial de Féjus
C’est ainsi que quasiment 50 ans après la fin de la guerre, au début du 21ème siècle, l’on évoque enfin l’idée d’une Journée commémorative. C’est chose faite avec le décret du 26 mai 2005, annoncé par le Ministre de la Défense Mme Alliot-Marie. « Que les combats de nos soldats en Indochine, proclame celle-ci le 8 juin 2005, puissent rester gravés à jamais dans la mémoire du peuple français. » La date retenue du 8 juin correspond à l’inhumation du Soldat inconnu d’Indochine dans la grande nécropole nationale Notre-Dame de Lorette au nord de la France. Bien sûr, ce choix est critiquable : inhumation mémorielle et non fin de la guerre. La faiblesse du symbole contribue aujourd’hui à minimiser le souvenir de la guerre d’Indochine. Cette date demeure encore plutôt confidentielle et mobilise peu de citoyens ou de communes. Pour autant, Le Souvenir Français ne peut ni ne doit oublier… Cette mémoire est aussi de notre responsabilité.
Pour finir, je souhaiterais vous partager ce poème d’un ancien d’Indochine, André CLIN, adressé aux membres du Corps expéditionnaire français en Extrême Orient (CEFEO).
Mourir pour l’Indochine
Tu étais mon ami ! Ensemble, nous sommes partis !
Parcourant les mers, voguant vers l’Indochine
Pataugeant dans les rizières, la jungle de Cochinchine,
Pour défendre là-bas la France et son Empire.
Sur les bancs de l’école, j’avais entendu dire !
Prestige d’un peuple, l’orgueil d’une nation.
Dans la fournaise, on bradait des garçons.
Tu étais mon ami ! Comme moi, t’as pas compris !
On recherchait l’ennemi qui se nommait Viêt-minh,
Patrouillant nuit et jour dans les rues de Gia Dinh.
Tu regardais, c’est sûr, ces belles et jolies filles,
Ce mystérieux pays où tant de jonques fourmillent.
Nous étions tous unis, aucun ne montrait son grade.
Car tous redoutaient ces terribles embuscades.
Tu étais mon ami
Soudain, j’entends un cri.
Voyant son corps sans vie et ses grands yeux meurtris,
Affalé sur le sol, j’ai tout de suite compris
Que plus jamais il ne verrait d’aurore.
Je n’osais y croire mais j’espérais encore.
Dans le fracas des armes,
J’ai versé quelques larmes.
Il était mon ami et la guerre me l’a pris.
En ce lointain pays, loin des lieux de ton enfance
A jamais tu reposes, loin de la terre de France
A l’orée des hévéas, vous verrez une croix,
Simple distinction qui nous rappelle sa foi.
On peut y lire ceci : son nom en lettres majuscules,
Sa date de décès et son numéro matricule,
« Mort pour la France » Tu étais mon ami.
Pour sa patrie, il a donné sa vie.

Quelques romans et récits à découvrir sur cette période :
– A. AUDOUARD, Le rendez-vous de Saïgon, Paris, Gallimard NRF, 2001.
– A. AUDOUARD, Un pont d’oiseaux, Paris, Gallimard NRF, 2006.
– E. BERGOT, Les sentiers de la guerre, 3 t., Paris, Presses de la Cité, 1981-83.
– E. BERGOT, Sud lointain, 3 t., Paris, Presses de la Cité, 1990-91.
– P. COUTURIAU, L’inconnue de Saïgon, Paris, Presses de la Cité, 2004.
– J.-P. DANNAUD, Fleuve rouge, Paris, éd. de Fallois, 1992.
– J. HOUGRON, La nuit indochinoise, Paris, Laffont, Collection Bouquins, 2 vol., 1989.
– Anna MOÏ, Riz noir, Paris, Gallimard, 2004.
– Anna MOÏ, Rapaces, Paris, Gallimard, 2005.
– P. ROZE, L’eau rouge, Paris, Gallimard, 2006.
– P. SCHOEDOERFFER, Le Crabe-tambour, Paris, Grasset, 1976.
[1] M. BIGEARD, Ma guerre d’Indochine, Paris, Hachette, 1994 ; du même, Paroles d’Indochine, Paris, éd. du Rocher, 2004.